Les biais cognitifs, obstacle à la diversité en entreprise (#2)
Dans la première partie du résumé du livre de Laurent Depond, on peut observer en quoi les biais cognitifs nuisent directement à la diversité en entreprise. Dans cette seconde partie, nous approfondirons les concepts abordés dans le livre de Laurent Depond.
Nous verrons comment nos fonctionnements cérébraux peuvent freiner l’inclusion et la diversité, mais aussi comment les organisations peuvent mettre en place des solutions adaptées grâce à l’intelligence relationnelle et au management inclusif.
Partie 2 : Prendre conscience de nos “fonctionnements humains” (suite)
Chapitre 4 : L’approche neurocognitive et comportementale
La compréhension de nos comportements au travers de la construction de notre cerveau permet de mieux comprendre nos comportements naturels.
Notre cerveau fonctionnent selon deux modalités :
- un système rapide qui utilise des routines de pensée préétablie : le mode mental automatique,
- un système lent, analytique : le mode mental adaptatif.
Le mode par défaut, adapté à la gestion des situations simples, apparaît fiable, rapide. Il est économe en énergie. Ce sont des processus inconscients (la conduite) ou conscients ( le calcul mental).
Le mode adaptatif c’est comme conduire à l’étranger et devoir être prêt à s’adapter en permanence à l’inconnu. C’est épuisant s’il est mobilisé trop longtemps.
Le mode mental automatique est l’ennemi naturel de la diversité.
Il fonctionne de manière optimale s’il ne gère que ce qu’il connaît. Il est défini par six caractéristiques :
- la routine : un attrait pour les habitudes qui génère la peur de la nouveauté
- la persévérance : la capacité à poursuivre sans se laisser déstabiliser par l’imprévu quitte à basculer dans la résistance obstinée au changement,
- la simplification : gestion raccourcie des situations courantes qui empêche la gestion nuancée des situations complexes
- la certitude : sentiment que notre vision est “toute la vérité” qui peut confiner à l’intolérance ou à des erreurs d’interprétation
- l’empirisme : reproduction systématique de ses expériences passées
- l’image sociale : importance exagérée donnée à son image dans le groupe, pourvoyeuse de manque d’initiative par peur du risque.
Le mode mental automatique a largement fait ses preuves. Il nous économise énormément d’énergie et a contribué à la survie de l’humanité avec une faible probabilité d’erreur mais mis bout à bout ses 6 caractéristiques peuvent avoir des conséquences importantes sur l’inclusion en entreprise. L’intelligence relationnelle et le management inclusif offrent des outils pratiques pour instaurer un climat de sécurité psychologique et encourager la performance durable.
Chapitre 5 : Les barrières anti-diversité du mode mental automatique
Trois des quatre pilotes à l’origine de nos comportements gouvernent notre mode mental automatique :
- deux qui servent l’objectif de sécurité
- la gouvernance instinctive,
- la gouvernance grégaire,
- une qui sert l’objectif de bien-être
- la gouvernance émotionnelle.
Ces trois blocs correspondent à des stades d’évolutions successifs. Grâce à une approche basée sur l’intelligence relationnelle et le management inclusif, les entreprises peuvent favoriser une meilleure intégration de la diversité cognitive.
La gouvernance instinctive relève de nos besoins vitaux : respirer, boire, manger, se reproduire et se mettre en sécurité.
Elle prend les commandes lorsqu’on éprouve peur, colère ou abattement. C’est d’elle que dépendent nos réactions instinctives de rejet ou d’attirance. Elle active nos alertes, notre stress et génère nos comportements de fuite, lutte ou inhibition bien au-delà de notre conscience directe.
La gouvernance grégaire régule nos interactions également au détriment de l’inclusion.
La survie collective s’inscrit dans la logique implacable du “chacun sa place”. Elle est fondée sur un rapport de force instinctif, arme de dissuasion naturelle des conflits mais puissant facteur d’autocensure. On ne parle pas d’une hiérarchie basée sur le mérite ou l’intellect mais bien d’une classification sur la base de la capacité de nuisance potentielle des individus. Elle s’appuie sur des signaux physiques de dominance ET de soumission communs à chaque espèce. Le dominant agit pour sécuriser son pouvoir et il n’est pas remis en question en tant que tel. C’est le biais du chef.
Ce rapport de force de la gouvernance grégaire n’est pas le fait d’un sexe ou d’une origine. Il est le résultat de nombreux facteurs et de la construction personnelle d’un individu. L’éducation y joue un rôle important et il est simple de comprendre à quel point ce rapport de force, toujours embusqué dans nos rapports humains, n’aide pas à créer un climat inclusif.
Les impacts sur le cerveau humain de la sédentarisation
Il est intéressant de noter que la sédentarisation des hommes de Néandertal a d’ailleurs contribué fortement à transformer l’étranger en ennemi. La défense collective d’un territoire devenant tout à coup prépondérante. Les sociétés de néandertal ont dû s’organiser autour d’individus dominant : guerriers et prêtres.
Les groupes de chasseurs-cueilleurs nomades du paléolithique n’avaient pas eu besoin de mettre en place ces stratégies de domination et que les croisements inter-espèces n’étaient pas un sujet. Néandertal marque l’arrivée des codes et des croyances pour réguler les sociétés. L’enjeu démographique s’imposant, les femmes sont alors contraintes à un rôle de procréation, de soin aux enfants. La ressemblance devient le ciment de la société.
Dernière pièce du puzzle, la gouvernance émotionnelle émerge pour s’adapter aux effets normatifs de nos codes sociaux.
Elle a une mission de régulation, d’acceptation de la situation. Elle porte en elle les fondements d’un monde juste souvent lié au niveau de religiosité des cultures. “Ne pas respecter l’ordre social c’est rompre l’équilibre.” L’exclusion sociale provoque de la souffrance et pour éviter cette exclusion il faut absolument rentrer dans le moule.
La puissance de cette injonction de notre cerveau est à double tranchant
- la société est organisée pour freiner l’expression de la diversité
- les impacts de la discrimination sur les individus sont dévastateurs
Les préjugés pour renforcer la prédominance des groupes.
C’est la femme “modeste” – l’invisibilité pour ne pas devenir tentatrice. L’homme “fort”, capable de défendre son territoire. C’est le besoin impérieux de réseaux : affinitaires, communautaristes, sociaux. La gouvernance émotionnelle, c’est deux types de cadrage “ce que je dois faire de bien pour agir au sein de mon collectif de vie” ET “ce qui me procure du plaisir”. Autrement dit, un savant mélange d’individuel et de collectif qui ne favorise pas la diversité spontanément.
L’évolution a fait que les expériences négatives ont beaucoup plus de poids que les expériences positives. Cela explique largement notre biais de négativité naturel. Nos codes et nos motivations constituent un socle de valeurs, un référentiel du bien et du mal. Notre construction personnelle a donc un impact direct sur notre capacité à bien vivre les mélanges. L’entreprise – et son manager – devra apprendre à “pacifier” les tensions pour fédérer les énergies si les référentiels des coéquipiers sont particulièrement opposés. Il est très difficile pour tout un chacun de remettre en question les “bases de données” de son cerveau. Le biais de confirmation peut être interprété comme une stratégie du cerveau pour protéger ses convictions.
Chapitre 6 : Stéréotypes, attention danger
Le stéréotype est un pari statistique que fait notre cerveau pour savoir plus rapidement comment se comporter. “Les biais inconscients sont des stéréotypes sociaux sur certains groupes de personnes que les individus forment en dehors de leur propre conscience.” Ces stéréotypes ont des impacts évidents sur l’égalité des chances. Pour autant, quand on pense stéréotypes et discrimination, on pense plus sexe, âge, religion mais parfois l’impact est plus insidieux.
En France, votre diplôme initial est communément considéré comme prédictif de votre succès futur. On peut donc inconsciemment vous reprocher de ne pas avoir choisi telle ou telle voie ou encore d’avoir changé de voie. Ce qui n’est pas compris fait peur au cerveau de l’autre…
L’anonymisation pourrait être une voie mais elle présuppose une intention discriminatoire.
On ne peut pour autant pas lui opposer l’objectivité. Nous sommes tous influencés par des stéréotypes profondément ancrés en nous. Pire, les individus portent eux-mêmes sur eux des jugements teintés d’auto-stéréotypes négatifs. Des expériences ont prouvé qu’activer un de vos auto-stéréotypes négatifs diminue vos performances cognitives lors d’une évaluation. Cela crée des pensées parasitent qui vous scotchent dans votre mode mental automatique et génèrent du stress qui vous empêche d’activer votre intelligence adaptative.
L’omniprésence des stéréotypes contribue donc insidieusement à la perte d’opportunités.
Chapitre 7 : Appréhender efficacement la diversité
Les initiatives coercitives ont montré leurs limites. Les lois sont difficiles à appliquer. Elles n’ont pas les effets de cascade attendus. Les personnes issues de leur application ne peuvent pas toujours exprimer leur plein potentiel. Elles s’auto-censurent du fait d’auto-stéréotypes négatifs et d’un complexe d’imposture.
Les injonctions trop fortes conduisent à une réaction de rejet qui se traduit par deux niveaux de blocages :
- blocages conscients et volontaires de la population qui se sent menacée par la diversité
- une manifestation de la préférence naturelle pour son groupe social lorsqu’il est attaqué
L’application d’une règle ou d’une loi nous repousse dans notre mécanique de gouvernance grégaire où la force s’impose.
Cela nous pousse à nous repositionner spontanément et inconsciemment sur une échelle d’affirmation de soi. Les dirigeants des entreprises ont vite fait de s’appuyer plus sur une capacité à imposer ses idées que sur une capacité à y faire adhérer par l’explication. Ces mécanismes expliquent empiriquement les modèles traditionnels des organisations. C’est une vision normative et naturellement anti-diversité.
La piste : passer de la diversité quantifiable à une diversité cognitive.
Il faut donc, pour les entreprises, trouver les moyens de s’extraire durablement de cette gouvernance grégaire. Revenir à la qualité du “capital humain” des organisations sera la clé du management inclusif et de la performance durable. Il faut apprendre à raisonner diversité fonctionnelle et dynamique comportementale.
La diversité pour la diversité est devenue clivante. Pour éviter les blocages, il faut bannir l’approche militante. Il faut comprendre les mécanismes naturels de nos cerveaux et s’en servir pour avancer. En provoquant un électrochoc, en se faisant l’avocat du diable, on peut faire sortir l’autre de ces mécanismes automatiques sans pour autant se retrouver bloquer par le biais de l’action unique. Ce biais qui dédouane de l’action et permet de s’autoriser la transgression. Si l’on se dit qu’on a une femme dans l’équipe et que c’est déjà bien comme ça…
Notre cerveau a vite fait également de nous attirer vers le biais de statu quo. Le conformisme constitue un frein si puissant puisqu’il a contribué longtemps à la survie de l’espèce humaine.
Maîtriser les biais pour challenger le processus décisionnel.
Mais la compréhension des biais de toute nature et de leurs mécanismes s’est développée depuis quelques années aussi bien pour en limiter les impacts dans nos décisions que pour les influencer.
Ainsi, le biais de désirabilité peut devenir un levier de l’inclusion. Faire comme les autres mais aussi “être quelqu’un de bien” est inscrit dans notre ADN. Mais attention, la manipulation de nos mécanismes inconscients, aussi vertueuse soit-elle, peut vite s’avérer dangereuse. L’apparition des nudges tel que la mouche dans l’urinoir de l’aéroport d’Amsterdam qui a significativement réduit les coûts de nettoyage des toilettes pour hommes (🙂) démontre combien ils peuvent être des coups de pouce à l’action. La tentative d’écriture inclusive s’est, elle, révélée totalement contre-productive. Nos biais individuels peuvent ainsi bloquer le mouvement vers l’inclusion ou l’accompagner quand les nudges qui les utilisent sont bien “pensés”.
Il est essentiel de challenger les processus décisionnels qui ont un impact sur l’inclusion. Puisque notre mental automatique, aussi puissant soit-il, est un obstacle naturel à la diversité, il faut apprendre à le déconnecter pour passer en mode adaptatif.
Partie 3 : Faire émerger le management inclusif
Chapitre 8 : La sécurité psychologique et l’intelligence relationnelle
Pour que les collaborateurs puissent exprimer leur plein potentiel en mobilisant les ressources de leur construction personnelle, leurs compétences techniques (hard skills), mais aussi leurs compétences comportementales (soft-skills), il faut mettre en œuvre un management inclusif. Ce type de management doit créer les conditions de sécurité psychologique nécessaires à la pleine expression des collaborateurs.
Le sentiment de se sentir protéger si on prend des risques, de pouvoir s’exprimer librement est la clé de voûte de la performance inclusive et durable.
Le manager inclusif doit savoir construire des rapports de confiance.
Il doit être en mesure de cartographier les personnalités de ses coéquipiers, d’identifier les positionnements grégaires spontanés pour mieux les neutraliser. Il doit faire preuve d’intelligence relationnelle pour individualiser son management en fonction du positionnement grégaire de chacun des membres de l’équipe.
Ce constat impose deux règles pour l’entreprise :
- la taille des équipes doit être limitée
- tout le monde ne peut pas devenir un manager inclusif ou tout simplement un manager.
Un manager doit être assertif.
Il doit savoir naturellement s’exprimer et défendre ses droits sans empiéter sur ceux des autres. Il doit aussi exprimer une envie claire de devenir manager.
Un manager inclusif sait reconnaître et gérer les émotions. Il doit savoir détecter les signaux de stress chez ses coéquipiers pour les résoudre. Adopter l’intelligence relationnelle et le management inclusif, c’est permettre aux collaborateurs de mobiliser pleinement leurs compétences techniques et comportementales.
Rappelons que le stress est un signal d’alarme qui nous avertit que le mode mental que nous utilisons n’est pas adapté à la situation rencontrée. Nous sommes en face d’une situation dangereuse, inconnue ou complexe qui requiert notre mode mental adaptatif. Pourtant nous sommes restés bloqués dans notre mode mental automatique. C’est le même principe que la douleur qui nous oblige à réagir pour notre propre bien.
Un coéquipier confronté à une situation inconfortable pourra réagir de trois façons : la fuite, la lutte ou l’inhibition. Le manager devra détecter les signaux et les traiter d’autant que chaque individu aura sa propre échelle de “stressabilité”.
Un manager inclusif sait capitaliser sur les motivations intrinsèques des individus.
Il doit donc être en capacité d’identifier ces motivations qui donnent de l’énergie et sont inconditionnelles puisque succès ou échec n’ont pas de prises sur elles. Elles sont les leviers de l’engagement des individus.
Un manager qui veut stimuler l’engagement au sein de son équipe doit s’assurer que chacun accomplit des missions et des tâches qu’il aime, du moins, les faits d’une façon qui lui correspond. Mais il lui faut aussi anticiper les signes d’un surinvestissement émotionnel, principale cause des RPS (risques psychosociaux). Il lui faut pouvoir s’appuyer sur des qualités de communication particulièrement neutres et ouvertes. Il faut aider l’autre à faire la bascule naturellement entre son mode mental automatique et son mode mental adaptatif. La reformulation est au cœur du dispositif. On doit éduquer les managers de sorte qu’ils développent une intelligence relationnelle forte au service de l’amplification du potentiel des individus.
Chapitre 9 : Le puissant levier de l’intelligence adaptative
Sur la base des 6 dimensions du mode mental automatique, la réponse du mode mental adaptatif serait :
- la curiosité : “qu’est-ce qui nous fait vraiment atteindre nos objectifs ?”
- la souplesse : “et si nous tentions une autre approche ?”
- la nuance : “il y a des avantages et des inconvénients dans chaque situation ?”
- la relativité : “ si l’on tient compte du contexte, lequel est le plus adapté ?”
- l’opinion personnelle : “ quels sont les facteurs explicatifs et rationnels pour convaincre ?”
L’intelligence adaptative : anti-virus au service d’une vision positive de la diversité
En empruntant un chemin logique qui n’a pas besoin de rester dans ce qu’il connaît, notre mode mental adaptatif peut s’extraire de toutes les programmations anti-diversité qui se nichent dans notre mode mental automatique.
L’entraînement mental pour modifier les schémas d’activité du cerveau pour renforcer empathie, compassion, optimisme et sensation de bien-être.
Bascule mentale et intelligence collective
De management inclusif à intelligence collective il n’y a donc plus qu’un pas à franchir. Le manager inclusif permettra le développement de l’intelligence adaptative de ses coéquipiers. Il rassurera face à la transformation, stimulera l’apprenance tout en augmentant l’’engagement durable et performant.
L’intelligence relationnelle n’est rien si elle ne parvient pas à créer de l’intelligence collective. C’est la force des regards croisés qui crée la performance durablement. C’est ce que prône l’IME avec le “talent matching”
Faire émerger la divergence constructive pour éviter les angles morts et la pensée de groupe. L’intelligence collective d’une équipe repose sur la mobilisation du mode mental adaptatif de ses membres. Il faut toutefois savoir économiser son cerveau autant que faire se peut. Le mode adaptatif est surconsommateur d’énergie et il faut admettre que, même musclé, nous avons le droit de repasser en mode automatique de temps en temps. Il faut juste le conscientiser.
Conclusion : L’apport des neurosciences dans la chasse aux biais
Ce livre invite les organisations à prendre conscience des ressorts qui font obstacles au développement de l’inclusion et à s’outiller pour repenser leur culture et leurs processus grâce à l’apport des neurosciences cognitives. Développer une intelligence relationnelle et un management inclusif au cœur des organisations modernes est essentiel pour surmonter les obstacles liés aux biais cognitifs.
Pour aller plus loin :
- Retrouvez le livre sur Amazon pour consulter ses critiques.
- Découvrez cette interview de l’auteur également.
Si vous êtes arrivés au bout de cet article et de ce résumé, c’est que, comme moi, le sujet vous passionne 🙂
N’hésitez pas à me laisser un commentaire et pourquoi pas, si vous ne l’avez pas encore fait, à répondre à ce quiz pour vous détendre : Quiz : Reconnaître les biais inconscients au travail 😉