Et si les biais cognitifs sous-tendaient toute une logique de confiance masculine dont le mansplaining n'était qu'un symptôme de leur sur-confiance
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Mansplaining et biais cognitifs, quand les femmes doutent, les hommes expliquent

Mansplaining : ce mot qui pique… mais qu’on devrait toutes et tous apprendre à décoder.

Je ne sais pas pour vous, mais moi, la première fois que j’ai entendu le mot mansplaining, j’ai ri. Puis j’ai levé les yeux au ciel.
Puis… j’ai repensé à toutes ces occasions professionnelles et personnelles où j’ai été interrompue, puis corrigée sur un sujet que je maîtrisais. Par un inconnu, un ami, un compagnon, un collègue qui venait de googliser le concept.
J’ai souri poliment. J’ai laissé passer. Et le pire ? J’ai douté de moi.

Aujourd’hui, je sais que ce n’était pas juste une maladresse. C’était un condensé de plusieurs mécanismes bien huilés :

  • un excès de confiance masculine valorisé socialement,
  • une sous-estimation systémique de la parole des femmes,
  • et des biais cognitifs invisibles qui façonnent nos interactions… jusque dans nos silences.

Le mansplaining est un terme-clé du féminisme contemporain, moqué par certains, adopté par d’autres. Mais il dit beaucoup plus qu’un homme qui coupe la parole.
Il révèle comment notre cerveau (et notre culture) valorise certains types de discours… au détriment d’autres.

Et si ce n’était que la partie émergée de l’iceberg ? Si derrière chaque explication non sollicitée, il y avait un enchevêtrement de biais cognitifs ? Si ce phénomène touchait non seulement la confiance en soi des femmes, mais aussi leur place dans le monde du travail.

🎯 Dans cet article, on va explorer pourquoi le mansplaining n’est pas un simple tic de langage, mais un symptôme social soutenu par des biais cognitifs puissants. Et pourquoi il impacte l’estime, les carrières et les perceptions de compétence… de manière très inégalitaire.

Le mansplaining : 

… un symptôme social… et cognitif 

Le mansplaining, contraction de man et explaining (en québécois “pénispliquer” 🤣) désigne une situation familière à de nombreuses femmes : un homme explique quelque chose à une femme sans qu’elle l’ait demandé, sur un sujet qu’elle maîtrise déjà, parfois même mieux que lui.

Derrière cette scène en apparence anodine se cache un mécanisme bien plus profond. Le mansplaining n’est pas qu’un comportement individuel mal calibré : c’est la manifestation d’un système de croyances et de réflexes mentaux partagés, nourris par des biais cognitifs invisibles et validés socialement.

Prenons un exemple. Une femme prend la parole en réunion pour exposer une idée. Quelques instants plus tard, un collègue masculin l’interrompt, répète ce qu’elle vient de dire, y ajoute une tournure plus affirmative, et récolte aussitôt l’approbation générale. Elle se tait, lui gagne du crédit. Scène banale. Mécanisme complexe.

… Une architecture de biais au service d’un déséquilibre

Le mansplaining n’est pas un simple micro-événement. Il s’inscrit dans un écosystème de biais qui travaillent en synergie :

  • L’effet Matthieu : plus une personne est perçue comme compétente, plus on lui accorde de crédit… indépendamment de la qualité réelle de ses interventions.
  • L’effet de halo : une apparence confiante ou une posture assurée suffit à induire l’idée de compétence.
  • Le biais de confirmation : on remarque ce qui conforte nos croyances préalables (par exemple, qu’un homme est naturellement plus apte à diriger) et on ignore les signaux contraires.

Ces mécanismes n’ont rien de volontaire. Ils sont le produit d’un conditionnement cognitif et culturel. Mais leurs effets sont profonds : ils invisibilisent la parole féminine, minent la confiance en soi, freinent les trajectoires professionnelles, et favorisent un déséquilibre systémique de la reconnaissance.

… Quand la confiance prend le pas sur la compétence

Ce qui se joue ici n’est pas simplement une question de mauvaise éducation ou d’interaction malheureuse. C’est l’effet d’un biais bien documenté : l’effet Dunning-Kruger. Il désigne la tendance à surestimer ses compétences précisément quand on ne dispose pas des connaissances nécessaires pour évaluer son propre niveau.

Ce biais cognitif peut toucher tout le monde. Mais il n’est pas distribué de manière égale.

Les recherches montrent qu’il est plus fréquemment exprimé et surtout validé chez les hommes. Cela ne signifie pas qu’ils sont “naturellement” plus confiants. Cela signifie que leur confiance est socialement valorisée. Quand une femme nuance, on entend un doute. Quand un homme affirme, on perçoit une compétence.

C’est là que les biais cognitifs croisent les normes sociales. Un homme qui s’avance avec aplomb, même approximativement, est souvent écouté. Une femme qui formule avec prudence est jugée hésitante, parfois peu sûre d’elle. On projette l’expertise sur la posture, pas sur le contenu.

Et ce renversement est rarement conscient. Il s’inscrit dans un système où l’assurance fait office de preuve, même en l’absence de compétence.

… Et si l’effet Duning-Kruger appelait le mansplaining ?

Une étude relayée récemment en fournit une illustration frappante : 52 % des hommes interrogés aux États-Unis affirment pouvoir faire atterrir un avion de ligne en cas d’urgence, sans aucune formation. Rien que ça. Ils ne sont pas pilotes. Ils n’ont jamais touché un simulateur. Mais ils en sont persuadés. Et cette confiance démesurée a suffi pour faire le buzz mais pas pour susciter l’inquiétude. Elle nous fait sourir. On l’a partage. Finalement, on trouve ça “fou mais pas si surprenant”.

Ce qui aurait dû être un indicateur de surconfiance devient presque une anecdote virale. Une forme d’aveuglement collectif, qui dit beaucoup de la place que l’on accorde aux certitudes masculines, même quand elles flottent dans le vide.

Le résultat est un renforcement circulaire :

  • Celui qui parle fort gagne du crédit.
  • Celle qui doute perd en légitimité.

Et le mansplaining devient une simple illustration parmi d’autres de cette distorsion de la perception des compétences.

Ce que révèle finalement, vraiment, le mansplaining

Ce qu’on appelle mansplaining n’est pas un simple problème de ton ou de courtoisie. C’est la partie émergée d’un système d’évaluation profondément biaisé, dans lequel la forme prend souvent le pas sur le fond, et où la confiance est trop souvent prise pour de la compétence.

Ce mécanisme agit d’autant plus silencieusement qu’il s’inscrit dans un imaginaire collectif encore très marqué par des stéréotypes de genre : les hommes seraient plus rationnels, les femmes plus émotionnelles ; les uns plus affirmés, les autres plus prudentes ; les premiers leaders naturels, les secondes “bonnes collaboratrices”.

Ces schémas sont puissants. Ils influencent la façon dont on écoute, dont on crédite une idée, dont on se juge et dont on se juge soi-même.

Comprendre les biais cognitifs, c’est se donner les moyens de mettre des mots sur ce qui nous freine, mais aussi sur ce qui, inconsciemment, empêche certaines voix de porter.

Le mansplaining n’est pas une anecdote agaçante. C’est une alerte.

Il nous rappelle qu’en entreprise comme ailleurs, nous n’écoutons pas toujours les bonnes personnes. Que nous confondons trop souvent assurance et compétence. Et que nous avons encore du chemin à faire pour rééquilibrer les voix.

Aujourd’hui, je transmets ce que j’aurais aimé entendre plus tôt. Non pas pour pointer du doigt, mais pour ouvrir les yeux. Parce qu’on ne peut pas transformer ce qu’on ne voit pas.

Dans l’épisode 35 du podcast Les Bais Dans Le Plat, je vous en dis plus sur les impacts et causes du mansplaining.

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2 commentaires

  1. Super article, à la fois instructif et percutant !
    C’est fou comme ces biais peuvent s’infiltrer dans nos échanges sans qu’on s’en rende compte… J’en ai déjà été témoin, surtout en milieu pro. Merci pour cette mise en lumière claire et bien documentée

  2. J’ai lu avec grand intérêt ton article, qui m’a interpellé pour une raison singulière : j’ai toute ma vie travaillé dans un domaine majoritairement féminin (l’Education Nationale et plus spécifiquement l’école maternelle), et j’ai bien vécu le phénomène que tu décris, mais… à l’envers ! Dans une profession éminemment féminine, être un homme est perçu comme un signe d’incapacité à faire autre chose (j’ai eu droit à “Ce n’est pas un métier d’homme” et “tu aurais pu viser plus haut, non?”), y compris en interne. Ceci m’a valu à de multiples reprises d’avoir droit à de doctes explications de la part de collègues qui n’imaginaient pas un instant que j’avais, moi aussi, une vraie réflexion sur ma pratique. Comme quoi, selon le contexte, les “opprimés” ne sont pas toujours les mêmes.