Comprendre les biais cognitifs au travail
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Comprendre les biais cognitifs au travail et s’en libérer

Pendant longtemps, je n’ai pas su mettre un mot dessus. Il y avait ces silences en réunion, ces retours de recrutement incompréhensibles ou encore ces promotions qui me passaient toujours à côté. Je pensais que c’était moi. Que je n’étais pas assez stratégique, pas assez charismatique, pas assez… “comme il faut”. Et puis j’ai découvert la notion de biais cognitifs et leur application jusque dans le monde du travail. Et tout a pris sens. Comprendre les biais cognitifs au travail c’est comprendre que notre cerveau – et celui des autres – applique en permanence des filtres invisibles, ça a été pour moi une véritable libération. Je ne vous dis pas que ça a tout réglé. Mais ça m’a permis d’arrêter de m’accuser et de reprendre du pouvoir sur mes interactions professionnelles.

Qu’est-ce qu’un biais cognitif au travail ?

Un biais cognitif est un raccourci mental. Le cerveau, pour réussir sa mission principale : votre survie, choisit d’aller plus vite. Il va simplifier la réalité… et souvent ça marche. Mais parfois il va se tromper. Ces distorsions automatiques influencent nos jugements, nos décisions et nos comportements.

Dans un contexte professionnel, ces mécanismes sont partout :

  • dans un entretien d’embauche,
  • au moment d’une promotion,
  • en réunion,
  • dans la façon dont on évalue les projets ou on attribue des formations.

Le problème ? Les biais cognitifs, y compris au travail, sont inconscients. Il faut apprendre à les reconnaître. Ils ne sont pas intentionnels, mais leurs effets sont bien réels : carrières freinées, idées écartées, talents invisibilisés.

Pourquoi c’est important de les connaître ?

J’ai mis près de 20 ans à comprendre que je ne faisais pas “fausse route” professionnellement. La reconnaissance ne dépendait pas uniquement de mes résultats. Souvent, la manière dont j’étais perçue passait à travers un filtre… qui n’avait rien à voir avec mes compétences.

Le jour où j’ai identifié et commencer à comprendre les biais cognitifs au travail, j’ai pu :

  • prendre du recul sur les situations injustes,
  • adapter ma communication,
  • mieux défendre mes projets,
  • et parfois… décider de ne plus perdre d’énergie à convaincre certaines personnes.

1. Comprendre les biais cognitifs au travail dans le recrutement

Les principaux biais cognitifs qui influencent les processus de recrutement

1.1 Le biais de similarité

On a tendance à préférer les personnes qui nous ressemblent (même école, même ville, même parcours, même style). C’est rassurant : on se dit qu’on pourra mieux anticiper leurs réactions. Mais c’est aussi excluant : les profils différents sont écartés, même s’ils sont compétents.

J’ai entendu des dizaines de fois : “Tu n’as pas le profil.” Au début, je le prenais comme un constat objectif. Aujourd’hui, je sais que c’était souvent un biais cognitif en action.

Il y a une dizaine d’années dans le New York Times, les recruteurs assumaient, à 80%, recruter sur un critère de “compatibilité à l’entreprise” !  Et aujourd’hui, la place prépondérante des soft-skills dans le processus de recrutement ouvre une faille béante dans l’objectivité nécessaire du processus. 

Quelle frustration pour nous, candidats, d’être disqualifiés sans vraiment jamais arriver à comprendre pourquoi on n’a pas le “profil”. Je ne sais pas vous mais moi je ne compte pas le nombre de fois où cet argument s’est invité dans la conversation alors même que je me sens capable de m’intégrer partout et que j’aspire même ardemment à découvrir de nouveaux horizons. Et la frontière est très fine entre ce biais cognitif et les pratiques de discrimination. D’après une étude de 2023 de la Commission Européenne, ils existent cinq critères de discrimination : l’origine du candidat reste le premier cité en 2023 (64%), suivi par l’apparence physique (50%), l’âge (44%), le handicap (34%), le sexe (30%) et les convictions religieuses (27%).

1.2 Le biais de confirmation

On retient surtout les éléments qui confirment nos croyances. En recrutement : “Les hommes sont de meilleurs managers”, “Les jeunes sont plus adaptables”, “Les seniors sont moins innovants”. Une fois cette idée en tête, on ne voit plus que ce qui la conforte.

En entretien, ça se traduit par des questions orientées… et des conclusions rapides. Si vous ne correspondez pas au “candidat idéal” que la personne a en tête, vos arguments seront invisibles.

Illustration du biais de confirmation
illustration trouvée sur le site https://amaninthearena.com

🔗 À lire aussi : Recrutement : comment déjouer les pièges invisibles des biais cognitifs au travail

La théorie des 6 secondes prises par les recruteurs pour trier un CV joue malheureusement en notre défaveur si on y ajoute le biais de confirmation. Une étude américaine estime même que certains recruteurs prennent souvent leurs décisions finales dans les 6 premières secondes d’examen d’un CV. Ils ne se basent que des informations qui confirment leurs attentes initiales.

Attention, les biais de similarité et les biais de confirmation sont également très présents lorsqu’il s’agit de parcours de carrière ou des plans de promotions. 

2. Comprendre les biais cognitifs au travail, en réunion et au quotidien

2.1 Le biais de genre

C’est celui qui m’a le plus marquée. Des idées ignorées… jusqu’à ce qu’elles soient reprises par un homme. Des interventions coupées net, souvent par ceux qui parlent le plus.

Une étude de Kieran Snyder montre qu’en réunion, les hommes captent jusqu’à 75 % du temps de parole et interrompent une femme 23 % plus souvent qu’un collègue masculin. J’ai appris à repérer ces moments et à y répondre avec des techniques simples : annoncer mon idée en la rattachant à un objectif concret, poser une question directe, ou demander explicitement à finir.

Comme je vous l’exposais dans ma série d’articles sur le syndrome de l’imposteur, les femmes doutent tout particulièrement d’elles-mêmes. Les causes et les conséquences de ce manque de confiance sont de nature multiple. Arrivées à l’âge adulte et en entreprise, il nous faut un long moment avant de comprendre la force de ce mécanisme de dévalorisation. Alors, nous commençons par nous taire, puis nous acceptons de nous faire couper la parole. 

Notre frustration grandit progressivement et plus nous écoutons des hommes oser prendre la parole malgré leur incompétence manifeste du sujet qu’ils s’approprient pour occuper l’espace. Nous reviendrons sur le principe de Peter ou l’effet Dunning Kruger plus longuement dans un prochain article. J’ai déjà évoqué le Manterrupting

Ce qu’il faut retenir à ce stade, compétence et sentiment de confiance sont des notions radicalement différentes selon les individus – pour ne pas dire entre les femmes et les hommes. 😉

2.2 Le biais d’autorité

Moins polémique mais tout aussi discutable, le biais d’autorité consiste à préférer les idées venant de personnes de statut plus élevé. Nous l’avons tous vécu : “le chef a toujours raison”. 

Même si j’ai connu de multiples organisations, je ne peux témoigner que pour des entreprises françaises. Cet adage y est tellement puissant. J’ai même pu observer les risques de cette dérive. Des structures où le management était une compétence qui s’imposait même à la technicité du métier managé. À partir de certains grades hiérarchiques, le métier de l’équipe managée n’était plus un critère de sélection. Les individus pouvaient donc diriger des équipes dont ils ne comprenaient rien au métier. Pour autant, leur avis en réunion prévalait tout de même – y compris pour des arbitrages 100% techniques. 

Les employés de rang inférieur se sentent naturellement dévalorisés et démotivés face à aussi peu de considération de leur expérience ou de leurs compétences.

On donne plus de crédit à celui qui a un titre élevé, même s’il connaît moins bien le sujet. J’ai vu des managers arbitrer sur des questions 100 % techniques… sans avoir jamais exercé ce métier. Et pourtant, leur avis prévalait.

Comprendre les biais cognitif au travail m’a permis de mieux cadrer mes arguments : non pas contre l’autorité, mais en faveur de la pertinence.

🔗 À lire aussi : Réunion : quand les biais cognitifs au travail coupent la parole (et les ailes)

Zoom sur l’étude de Milgram La célèbre expérience sur l’obéissance à l’autorité réalisée en 1961 par le psychologue Stanley Milgram illustre tristement bien le biais d’autorité. Dans cette expérience, il demande à des volontaires d’envoyer à une personne assise derrière une vitre des décharges électriques de plus en plus fortes de 15 volts jusqu’à 450 volts, quasiment mortelles. Lorsque les volontaires voulaient arrêter l’expérience devant les hurlements de douleur de la “victime”, qui était un comédien et qui ne recevait aucune décharge, le professeur Milgram répondait calmement “Continuez, l’expérience l’exige“. La plupart des volontaires, poussés par le respect de l’autorité, ont poursuivi l’expérience et la moitié sont allés jusqu’au maximum.

3. Les biais cognitifs dans la formation et le développement professionnel

3.1 Le biais d’accès

Le biais d'accès, un biais cognitifs qui influence la sélection des personnes à former en priorité

Il existe une tendance à offrir plus de possibilités de développement aux employés perçus comme plus prometteurs. Selon une étude de Deloitte, 60 % des opportunités de formation sont offertes à des employés déjà identifiés comme « hauts potentiels », laissant les autres sans accès équitable au développement.

Je suis, d’une certaine façon, le fruit de ce biais cognitif et j’ai détesté ça ! C’est d’ailleurs une approche que je considère très paternaliste. Elle impose directement au formé, d’être redevable auprès de l’organisation qui lui a fait un cadeau.

On investit surtout sur ceux qu’on juge “hauts potentiels”. Résultat : les autres stagnent.

J’ai été dans les deux camps : celle qu’on “accompagne” et le manager à qui on demande de coacher “l’élu”. Dans les deux cas, ce biais cognitif crée des frustrations et renforce les écarts. Cela restera pour moi le déclencheur de mon envie de changer de vie que j’explique sur ce site. 🙂

3.2 Le biais de contenus

Ce thème touche autant à la formation initiale de nos enfants qu’à la formation professionnelle. Il met en abîme un matériel de formation qui renforce des stéréotypes existants.

Une étude de l’Université de Washington a montré que 55 % des matériels de formation en leadership incluent des exemples et des scénarios qui perpétuent des stéréotypes de genre et de race.

Le manque d’adaptation des contenus des formations à leurs publics ne peut que générer de la frustration. Les participants peuvent se sentir aliénés ou mal compris.

Quand les supports de formation véhiculent des clichés ou ne s’adaptent pas au public, ils excluent au lieu de former. Je frémis toujours en relisant les manuels scolaires de mes enfants : certains discours n’ont pas changé depuis 30 ans. À titre professionnel, j’ai fait ma vie dans la gestion de projet. J’ai expérimenté toutes ces tendances non adaptées aux grandes organisations et auxquelles elles tentent d’adhérer…

Illustration du biais de contenus

4. Les biais cognitifs dans l’évaluation des projets

4.1 Le biais d’innovation

Une étude de l’Université de Californie révèle que les idées provenant des départements R&D ont 40 % plus de chances d’être financées que celles provenant d’autres départements, même si leur potentiel est similaire.

Derrière ce concept d’innovation se cachent en fait une multitude des biais que nous avons déjà balayés dans cet article. Biais d’affinité, biais de confirmation, biais d’autorité… Ou comment donner naturellement la préférence pour les idées venant de certaines équipes ou personnes.

Là aussi, l’adhésion, apparemment spontanée aux idées innovantes des autres, frustre les membres moins visibles qui peuvent se sentir ignorés.

4.2 Le biais de risque

Les biais cognitifs au travail touchent jusqu’à l’activité même des organisations. Le biais de risque s’exprime par la surestimation des risques associés aux projets provenant de sources moins traditionnelles.

Selon une étude de PwC, 45 % des projets proposés par des équipes diversifiées sont jugés plus risqués. Ils sont donc moins souvent financés, malgré des analyses de rentabilité similaires à celles des projets traditionnels.

Les projets portés par des équipes diverses sont donc souvent perçus comme plus risqués. J’ai vu des innovations prometteuses être enterrées au nom du “on a toujours fait comme ça” et des équipes entières se démotiver…

Ce que comprendre les biais cognitifs au travail m’a appris

Illustration du biais d'innovation

Le jour où j’ai compris que mes difficultés ne venaient pas uniquement de moi, j’ai ressenti un mélange de soulagement et de joie. Soulagement, parce que je pouvais enfin mettre un mot sur ce que je vivais. Joie, parce que je réalisais à quel point ces filtres qui influençaient injustement des carrières pouvaient être contournés si on arrivait à les éclairer..

Depuis, je ne cherche plus à convaincre tout le monde. Je me concentre sur ceux qui peuvent entendre. Et je garde en tête que derrière chaque réaction, il y a un cerveau qui fait de son mieux… mais pas toujours de façon objective.

📌 Prochaines étapes :

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4 commentaires

  1. Un article qui sonne tellement juste… Malheureusement ! Cela dit, comme toi, on peut en faire une force une fois que l’on s’en rend compte.
    Merci beaucoup pour ce récap’ très complet et éclairant !

  2. Excellent article ! Les explications sur les biais inconscients et leur impact sur la vie professionnelle sont claires et instructives. Les conseils pour les identifier et les combattre sont précieux pour créer un environnement de travail plus inclusif et équitable.

  3. Merci Sophie pour cet article très éclairant sur les biais inconscients au travail. Ta manière d’expliquer les différents types de biais et leurs impacts est vraiment claire et pertinente. J’ai particulièrement apprécié les exemples concrets et les stratégies pour les identifier et les atténuer. Cela m’a permis de mieux comprendre comment mes propres biais peuvent influencer mes décisions professionnelles et d’envisager des moyens concrets pour les surmonter.
    Merci encore pour cet article et au plaisir d’échanger de nouveau ensemble. 🌷