Sur le chemin du savoir que je souhaite partager avec vous sur ce site, j’ai dévoré le livre : « Intelligence relationnelle et inclusion », de Laurent Depond.
Si vous deviez ne retenir que ça : les biais cognitifs sont l’artefact ultime de notre cerveau pour servir ses objectifs.
Cet ouvrage vise à repenser la culture organisationnelle pour rendre l’inclusion plus concrète. Il se fonde sur des outils scientifiques pour comprendre les obstacles à un environnement de travail inclusif.
Ancien consultant, ancien VP Diversity & Inclusion chez Orange, Laurent Depond y explore comment les neurosciences et les sciences cognitives peuvent contribuer à développer la diversité et l’inclusion dans les organisations.
Il propose des pistes pour dépasser ces obstacles en s’appuyant sur une meilleure compréhension des mécanismes relationnels humains et de la sécurité psychologique, clés pour une inclusion efficace et durable.
En s’appuyant sur les récents apports des neurosciences et des sciences cognitives, ce livre propose une réflexion non stigmatisante. Il nous éclaire sur les fonctionnements humains – souvent mal compris ou simplement ignorés – qui freinent la mise en place d’un environnement de travail inclusif et égalitaire. Il propose de revoir la formation et la place du manager dans les organisations pour faire passer le thème d’inclusion dans une vision de performance durable.
Ouvrage de 208 pages – Collection “Les carnets Soft Skills” chez Dunod.
Résumé détaillé de l’ouvrage
Introduction :
En prenant acte que le monde du travail rencontre une crise sans précédent d’engagement depuis la crise sanitaire de 2021, l’auteur est convaincu que l’intelligence relationnelle est une piste sérieuse pour l’optimisation des relations entre individus.
Selon lui, les “soft skills” constituent les compétences comportementales qui favorisent ces relations à l’origine d’un meilleur engagement et d’une meilleure adaptation au stress des collaborateurs. Pour autant, l’injonction faite aux organisations de développer l’inclusion pour des raisons économiques et morales ne peut aboutir qu’en posant les bases d’un management inclusif intégrant les logiques de l’analyse neuro cognitive comportementale.
Partie 1 : Le paradoxe de la diversité
Chapitre 1 : Les vrais enjeux de la diversité en entreprise
Laurent Depond explique pourquoi et comment, ni l’impulsion uniquement donnée par un dirigeant convaincu, ni celle donnée par un corpus législatif contraignant, ne pourront aboutir à un succès en matière de diversité. La diversité promue comme en priorité, en globalement un échec en entreprise puisqu’elle finit par déformer les véritables opportunités en matière de performance.
À ce stade, ces politiques d’inclusion n’ont généré, selon lui, que frustrations par et contre les personnes promues via ces dispositifs. La source de la performance n’est pas liée à la typologie des profils mais bien à leur variété. “La diversité visible des “décideurs” étudiée en sexe, âge ou origine géographique est moins contributrice de la qualité décisionnelle que leur diversité “fonctionnelle”, celle de leurs modes de raisonnement.” Peu importe le packaging si l’entreprise n’arrive pas à tirer profit de ce qu’il y a à l’intérieur de la boîte crânienne des collaborateurs. C’est la capacité de l’entreprise et de ses managers à bien gérer les diversités qui compte plus que la présence de la diversité elle-même !
Vers la performance durable :
Il invite l’entreprise à viser la performance durable en combinant succès économique et approche éthique, écologique. C’est la qualité de vie au travail (QVT) qui permet aux collaborateurs de livrer cette performance.
À l’heure où l’intelligence artificielle et les conséquences des changements démographiques frappent aux portes des entreprises, faire aboutir leurs politiques de diversité et d’inclusion n’est plus une option.
Les différences générationnelles sont un faux sujet :
- la science a démontré que la plasticité cérébrale n’est pas une question d’âge,
- la construction marketing des fossés générationnelles n’est plus à démontrée
Les différences culturelles sont une réalité que l’entreprise doit / peut apprendre à gérer. Mais le monde change vite et le cerveau humain a naturellement peur du changement ! L’entreprise doit se réinventer vite et donc dans la douleur. Éliminer les biais d’analyse pour faire émerger les profils auxquels personne n’aurait penser devient essentiel.
Accepter de recruter différemment, accepter de travailler différemment, seront les grands challenges des prochaines années et même les grandes start-up s’y confrontent. C’est l’exemple d’Elon Musk qui interdit le télétravail pour ses équipes.
Chapitre 2 : Un écosystème peu favorable.
Les injonctions pour la diversité ont rendu la cause inaudible
- pour les jeunes,
- pour les femmes,
- pour les seniors,
- pour les personnes issues de milieux défavorisés
- etc.
“Nous sommes chacun une combinatoire de ces éléments, sans parler de la diversité la plus structurante, celle des profils cognitifs qui fait de nous des individus uniques.”
Plus l’approche est fragmentée et plus elle s’affaiblit.
Alors que la dictature de l’image, ouvre chaque jour la voie à des nouveaux lynchages médiatiques, les entreprises doivent apprendre à tout contrôler.
Si la discrimination fait l’objet de contraintes réglementaire forte, il ne faut pas pour autant occulter que l’origine des différences s’ancre dans des cultures et pratiques traditionnelles qui se révèlent sexistes sans conscientisation du sujet. Elles sont le fruit de stéréotypes puissants tel que “le salaire des femmes ne peut pas être au niveau de celui des hommes car (…) ce n’est qu’un salaire d’appoint dans le couple”.
Il est difficile de mettre au jour des pratiques discriminatoires alors que ce sont plus des biais humains et organisationnels qui expliquent ces résultats. Attaquer ces sujets sous un prisme uniquement légal peut se révéler contre-productif. Il faut s’attaquer non pas aux discriminations mais aux biais discriminatoires sinon dès qu’il y aura plusieurs femmes dans un comité de direction, l’illusion de fréquence permettra à notre cerveau, de bonne foi, d’être persuadé que le sujet est clos !
Il ne faut pas aborder le sujet par le prisme diversité donc mais bien par le prisme “performance durable”. La diversité viendra naturellement si elle prouve qu’elle contribue à la performance et la révision des politiques de recrutement et de formation des managers en sont les clés.
Partie 2 : Prendre conscience de nos “fonctionnements humains”
Chapitre 3 : Notre cerveau nous raconte des histoires
C’est dans la nature même de notre cerveau que de bloquer l’inclusion et c’est à ce problème que l’entreprise de demain doit s’attaquer.
Le cerveau a pour objectifs :
- notre sécurité
- notre bien-être
Le tout en économisant de l’énergie. L’éthique et l’objectivité n’ont pas été sélectionnées comme des finalités à atteindre au cours des milliers d’années qui l’ont façonnées.
Notre cerveau censure, sélectionne, fait des paris statistiques en utilisant biais et préjugés.
Pour lutter contre l’inconfort, le cerveau se comporte comme une machine d’anticipation. Créer l’avenir est probablement la chose la plus importante qu’il fasse.
Puisque l’inquiétude et la peur sont consommatrices d’énergie et potentiellement dangereuses car cela réduit nos capacités d’action en cas de danger avéré, nous avons besoin d’explications. Cela nous donne le sentiment d’avoir le contrôle sur notre environnement. Les rumeurs et complots naissent naturellement de ce besoin impérieux d’explications quitte à générer quantité de biais d’analyse dont la plus impactante est la croyance rassurante d’un “monde juste”. Ce monde juste permet à tout un chacun de se rassurer : toute victime porte une part de responsabilité dans ce qui lui arrive. Le danger est alors lointain pour soi…
“En 2015, une étude IPSOS a mis en évidence que 37% des françaises pensaient qu’une femme victime de viol avait une part de responsabilité dans ce qui lui était arrivé du fait de sa tenue, de son comportement ou encore des lieux qu’elle fréquentait.” Notre cerveau, dans sa recherche désespérée d’homéostasie, éloigne de nous le risque de cette façon terrible… Facile donc de tomber dans le biais d’autocomplaisance qui attribue nos succès à nos actions et nos échecs à des facteurs extérieurs. Notre cerveau nous raconte les histoires qui lui permettent de servir ses objectifs primaires.
Pour notre sécurité émerge le biais d’affinité ou tribal.
Nous ne sommes en sécurité qu’entre nous puisque l’étranger représente le danger et le pair est un allié naturel de notre survie. Mais si la recherche de l’entre soi est un conditionnement naturel qu’on peut expliquer et qu’il convient de dédramatiser, l’important c’est de le conscientiser et d’agir. Il n’est pas difficile de créer des groupes affinitaires. C’est un puissant levier d’inclusion.
Il en va de même pour l’effet de halo et l’impact fort du paraître. Si pour la femme, la beauté est un désavantage puisque le préjugé l’associe à la bêtise, pour les hommes, elle est elle associée à la compétence. Encore une fois, la conscientisation de ce biais est le prérequis. Il n’est pas question de juger, juste de l’identifier mais cela touche aussi les “légumes moches” 🙂
Chapitre 4 : L’approche neurocognitive et comportementale
La compréhension de nos comportements au travers de la construction de notre cerveau permet de mieux comprendre nos comportements naturels.
Notre cerveau fonctionnent selon deux modalités :
- un système rapide qui utilise des routines de pensée préétablie : le mode mental automatique,
- un système lent, analytique : le mode mental adaptatif.
Le mode par défaut, adapté à la gestion des situations simples, apparaît fiable, rapide. Il est économe en énergie. Ce sont des processus inconscients (la conduite) ou conscients ( le calcul mental).
Le mode adaptatif c’est comme conduire à l’étranger et devoir être prêt à s’adapter en permanence à l’inconnu. C’est épuisant s’il est mobilisé trop longtemps.
Le mode mental automatique est l’ennemi naturel de la diversité.
Il fonctionne de manière optimale s’il ne gère que ce qu’il connaît. Il est défini par six caractéristiques :
- la routine : un attrait pour les habitudes qui génère la peur de la nouveauté
- la persévérance : la capacité à poursuivre sans se laisser déstabiliser par l’imprévu quitte à basculer dans la résistance obstinée au changement,
- la simplification : gestion raccourcie des situations courantes qui empêche la gestion nuancée des situations complexes
- la certitude : sentiment que notre vision est “toute la vérité” qui peut confiner à l’intolérance ou à des erreurs d’interprétation
- l’empirisme : reproduction systématique de ses expériences passées
- l’image sociale : importance exagérée donnée à son image dans le groupe, pourvoyeuse de manque d’initiative par peur du risque.
Le mode mental automatique a largement fait ses preuves. Il nous économise énormément d’énergie et a contribué à la survie de l’humanité avec une faible probabilité d’erreur mais mis bout à bout ses 6 caractéristiques peuvent avoir des conséquences importantes sur l’inclusion en entreprise.
Chapitre 5 : Les barrières anti-diversité du mode mental automatique
Trois des quatre pilotes à l’origine de nos comportements gouvernent notre mode mental automatique :
- deux qui servent l’objectif de sécurité
- la gouvernance instinctive,
- la gouvernance grégaire,
- une qui sert l’objectif de bien-être
- la gouvernance émotionnelle.
Ces trois blocs correspondent à des stades d’évolutions successifs.
La gouvernance instinctive relève de nos besoins vitaux : respirer, boire, manger, se reproduire et se mettre en sécurité.
Elle prend les commandes lorsqu’on éprouve peur, colère ou abattement. C’est d’elle que dépendent nos réactions instinctives de rejet ou d’attirance. Elle active nos alertes, notre stress et génère nos comportements de fuite, lutte ou inhibition bien au-delà de notre conscience directe.
La gouvernance grégaire régule nos interactions également au détriment de l’inclusion.
La survie collective s’inscrit dans la logique implacable du “chacun sa place”. Elle est fondée sur un rapport de force instinctif, arme de dissuasion naturelle des conflits mais puissant facteur d’autocensure. On ne parle pas d’une hiérarchie basée sur le mérite ou l’intellect mais bien d’une classification sur la base de la capacité de nuisance potentielle des individus. Elle s’appuie sur des signaux physiques de dominance ET de soumission communs à chaque espèce. Le dominant agit pour sécuriser son pouvoir et il n’est pas remis en question en tant que tel. C’est le biais du chef.
Ce rapport de force de la gouvernance grégaire n’est pas le fait d’un sexe ou d’une origine. Il est le résultat de nombreux facteurs et de la construction personnelle d’un individu. L’éducation y joue un rôle important et il est simple de comprendre à quel point ce rapport de force, toujours embusqué dans nos rapports humains, n’aide pas à créer un climat inclusif.
Les impacts sur le cerveau humain de la sédentarisation
Il est intéressant de noter que la sédentarisation des hommes de Néandertal a d’ailleurs contribué fortement à transformer l’étranger en ennemi. La défense collective d’un territoire devenant tout à coup prépondérante. Les sociétés de néandertal ont dû s’organiser autour d’individus dominant : guerriers et prêtres.
Les groupes de chasseurs-cueilleurs nomades du paléolithique n’avaient pas eu besoin de mettre en place ces stratégies de domination et que les croisements inter-espèces n’étaient pas un sujet. Néandertal marque l’arrivée des codes et des croyances pour réguler les sociétés. L’enjeu démographique s’imposant, les femmes sont alors contraintes à un rôle de procréation, de soin aux enfants. La ressemblance devient le ciment de la société.
Dernière pièce du puzzle, la gouvernance émotionnelle émerge pour s’adapter aux effets normatifs de nos codes sociaux.
Elle a une mission de régulation, d’acceptation de la situation. Elle porte en elle les fondements d’un monde juste souvent lié au niveau de religiosité des cultures. “Ne pas respecter l’ordre social c’est rompre l’équilibre.” L’exclusion sociale provoque de la souffrance et pour éviter cette exclusion il faut absolument rentrer dans le moule.
La puissance de cette injonction de notre cerveau est à double tranchant
- la société est organisée pour freiner l’expression de la diversité
- les impacts de la discrimination sur les individus sont dévastateurs
Les préjugés pour renforcer la prédominance des groupes.
C’est la femme “modeste” – l’invisibilité pour ne pas devenir tentatrice. C’est l’homme “fort”, capable de défendre son territoire. C’est le besoin impérieux de réseaux : affinitaires, communautaristes, sociaux. La gouvernance émotionnelle, c’est deux types de cadrage “ce que je dois faire de bien pour agir au sein de mon collectif de vie” ET “ce qui me procure du plaisir”. Autrement dit, un savant mélange d’individuel et de collectif qui ne favorise pas la diversité spontanément.
L’évolution a fait que les expériences négatives ont beaucoup plus de poids que les expériences positives. Cela explique largement notre biais de négativité naturel. Nos codes et nos motivations constituent un socle de valeurs, un référentiel du bien et du mal. Notre construction personnelle a donc un impact direct sur notre capacité à bien vivre les mélanges. L’entreprise – et son manager – devra apprendre à “pacifier” les tensions pour fédérer les énergies si les référentiels des coéquipiers sont particulièrement opposés. Il est très difficile pour tout un chacun de remettre en question les “bases de données” de son cerveau. Le biais de confirmation peut être interprété comme une stratégie du cerveau pour protéger ses convictions.
Chapitre 6 : Stéréotypes, attention danger
Le stéréotype est un pari statistique que fait notre cerveau pour savoir plus rapidement comment se comporter. “Les biais inconscients sont des stéréotypes sociaux sur certains groupes de personnes que les individus forment en dehors de leur propre conscience.” Ces stéréotypes ont des impacts évidents sur l’égalité des chances. Pour autant, quand on pense stéréotypes et discrimination, on pense plus sexe, âge, religion mais parfois l’impact est plus insidieux.
En France, votre diplôme initial est communément considéré comme prédictif de votre succès futur. On peut donc inconsciemment vous reprocher de ne pas avoir choisi telle ou telle voie ou encore d’avoir changé de voie. Ce qui n’est pas compris fait peur au cerveau de l’autre…
L’anonymisation pourrait être une voie mais elle présuppose une intention discriminatoire.
On ne peut pour autant pas lui opposer l’objectivité. Nous sommes tous influencés par des stéréotypes profondément ancrés en nous. Pire, les individus portent eux-mêmes sur eux des jugements teintés d’auto-stéréotypes négatifs. Des expériences ont prouvé qu’activer un de vos auto-stéréotypes négatifs diminue vos performances cognitives lors d’une évaluation. Cela crée des pensées parasitent qui vous scotchent dans votre mode mental automatique et génèrent du stress qui vous empêche d’activer votre intelligence adaptative.
L’omniprésence des stéréotypes contribue donc insidieusement à la perte d’opportunités.
Chapitre 7 : Appréhender efficacement la diversité
Les initiatives coercitives ont montré leurs limites. Les lois sont difficiles à appliquer. Elles n’ont pas les effets de cascade attendus. Les personnes issues de leur application ne peuvent pas toujours exprimer leur plein potentiel. Elles s’auto-censurent du fait d’auto-stéréotypes négatifs et d’un complexe d’imposture.
Les injonctions trop fortes conduisent à une réaction de rejet qui se traduit par deux niveaux de blocages :
- blocages conscients et volontaires de la population qui se sent menacée par la diversité
- une manifestation de la préférence naturelle pour son groupe social lorsqu’il est attaqué
L’application d’une règle ou d’une loi nous repousse dans notre mécanique de gouvernance grégaire où la force s’impose.
Cela nous pousse à nous repositionner spontanément et inconsciemment sur une échelle d’affirmation de soi. Les dirigeants des entreprises ont vite fait de s’appuyer plus sur une capacité à imposer ses idées que sur une capacité à y faire adhérer par l’explication. Ces mécanismes expliquent empiriquement les modèles traditionnels des organisations. C’est une vision normative et naturellement anti-diversité.
La piste : passer de la diversité quantifiable à une diversité cognitive.
Il faut donc, pour les entreprises, trouver les moyens de s’extraire durablement de cette gouvernance grégaire. Revenir à la qualité du “capital humain” des organisations sera la clé du management inclusif et de la performance durable. Il faut apprendre à raisonner diversité fonctionnelle et dynamique comportementale.
La diversité pour la diversité est devenue clivante. Pour éviter les blocages, il faut bannir l’approche militante. Il faut comprendre les mécanismes naturels de nos cerveaux et s’en servir pour avancer. En provoquant un électrochoc, en se faisant l’avocat du diable, on peut faire sortir l’autre de ces mécanismes automatiques sans pour autant se retrouver bloquer par le biais de l’action unique. Ce biais qui dédouane de l’action et permet de s’autoriser la transgression. Si l’on se dit qu’on a une femme dans l’équipe et que c’est déjà bien comme ça…
Notre cerveau a vite fait également de nous attirer vers le biais de statu quo. Le conformisme constitue un frein si puissant puisqu’il a contribué longtemps à la survie de l’espèce humaine.
Maîtriser les biais pour challenger le processus décisionnel.
Mais la compréhension des biais de toute nature et de leurs mécanismes s’est développée depuis quelques années aussi bien pour en limiter les impacts dans nos décisions que pour les influencer.
Ainsi, le biais de désirabilité peut devenir un levier de l’inclusion. Faire comme les autres mais aussi “être quelqu’un de bien” est inscrit dans notre ADN. Mais attention, la manipulation de nos mécanismes inconscients, aussi vertueuse soit-elle, peut vite s’avérer dangereuse. L’apparition des nudges tel que la mouche dans l’urinoir de l’aéroport d’Amsterdam qui a significativement réduit les coûts de nettoyage des toilettes pour hommes (🙂) démontre combien ils peuvent être des coups de pouce à l’action. La tentative d’écriture inclusive s’est, elle, révélée totalement contre-productive. Nos biais individuels peuvent ainsi bloquer le mouvement vers l’inclusion ou l’accompagner quand les nudges qui les utilisent sont bien “pensés”.
Il est essentiel de challenger les processus décisionnels qui ont un impact sur l’inclusion. Puisque notre mental automatique, aussi puissant soit-il, est un obstacle naturel à la diversité, il faut apprendre à le déconnecter pour passer en mode adaptatif.
Partie 3 : Faire émerger le management inclusif
Chapitre 8 : La sécurité psychologique et l’intelligence relationnelle
Pour que les collaborateurs puissent exprimer leur plein potentiel en mobilisant les ressources de leur construction personnelle, leurs compétences techniques (hard skills), mais aussi leurs compétences comportementales (soft-skills), il faut mettre en œuvre un management inclusif. Ce type de management doit créer les conditions de sécurité psychologique nécessaires à la pleine expression des collaborateurs.
Le sentiment de se sentir protéger si on prend des risques, de pouvoir s’exprimer librement est la clé de voûte de la performance inclusive et durable.
Le manager inclusif doit savoir construire des rapports de confiance.
Il doit être en mesure de cartographier les personnalités de ses coéquipiers, d’identifier les positionnements grégaires spontanés pour mieux les neutraliser. Il doit faire preuve d’intelligence relationnelle pour individualiser son management en fonction du positionnement grégaire de chacun des membres de l’équipe.
Ce constat impose deux règles pour l’entreprise :
- la taille des équipes doit être limitée
- tout le monde ne peut pas devenir un manager inclusif ou tout simplement un manager.
Un manager doit être assertif.
Il doit savoir naturellement s’exprimer et défendre ses droits sans empiéter sur ceux des autres. Il doit aussi exprimer une envie claire de devenir manager.
Un manager inclusif sait reconnaître et gérer les émotions. Il doit savoir détecter les signaux de stress chez ses coéquipiers pour les résoudre.
Rappelons que le stress est un signal d’alarme qui nous avertit que le mode mental que nous utilisons n’est pas adapté à la situation rencontrée. Nous sommes en face d’une situation dangereuse, inconnue ou complexe qui requiert notre mode mental adaptatif. Pourtant nous sommes restés bloqués dans notre mode mental automatique. C’est le même principe que la douleur qui nous oblige à réagir pour notre propre bien.
Un coéquipier confronté à une situation inconfortable pourra réagir de trois façons : la fuite, la lutte ou l’inhibition. Le manager devra détecter les signaux et les traiter d’autant que chaque individu aura sa propre échelle de “stressabilité”.
Un manager inclusif sait capitaliser sur les motivations intrinsèques des individus.
Il doit donc être en capacité d’identifier ces motivations qui donnent de l’énergie et sont inconditionnelles puisque succès ou échec n’ont pas de prises sur elles. Elles sont les leviers de l’engagement des individus.
Un manager qui veut stimuler l’engagement au sein de son équipe doit s’assurer que chacun accomplit des missions et des tâches qu’il aime, du moins, les faits d’une façon qui lui correspond. Mais il lui faut aussi anticiper les signes d’un surinvestissement émotionnel, principale cause des RPS (risques psychosociaux). Il lui faut pouvoir s’appuyer sur des qualités de communication particulièrement neutres et ouvertes. Il faut aider l’autre à faire la bascule naturellement entre son mode mental automatique et son mode mental adaptatif. La reformulation est au cœur du dispositif. On doit éduquer les managers de sorte qu’ils développent une intelligence relationnelle forte au service de l’amplification du potentiel des individus.
Chapitre 9 : Le puissant levier de l’intelligence adaptative
Sur la base des 6 dimensions du mode mental automatique, la réponse du mode mental adaptatif serait :
- la curiosité : “qu’est-ce qui nous fait vraiment atteindre nos objectifs ?”
- la souplesse : “et si nous tentions une autre approche ?”
- la nuance : “il y a des avantages et des inconvénients dans chaque situation ?”
- la relativité : “ si l’on tient compte du contexte, lequel est le plus adapté ?”
- l’opinion personnelle : “ quels sont les facteurs explicatifs et rationnels pour convaincre ?”
L’intelligence adaptative : anti-virus au service d’une vision positive de la diversité
En empruntant un chemin logique qui n’a pas besoin de rester dans ce qu’il connaît, notre mode mental adaptatif peut s’extraire de toutes les programmations anti-diversité qui se nichent dans notre mode mental automatique.
L’entraînement mental pour modifier les schémas d’activité du cerveau pour renforcer empathie, compassion, optimisme et sensation de bien-être.
Bascule mentale et intelligence collective
De management inclusif à intelligence collective il n’y a donc plus qu’un pas à franchir. Le manager inclusif permettra le développement de l’intelligence adaptative de ses coéquipiers. Il rassurera face à la transformation, stimulera l’apprenance tout en augmentant l’’engagement durable et performant.
L’intelligence relationnelle n’est rien si elle ne parvient pas à créer de l’intelligence collective. C’est la force des regards croisés qui crée la performance durablement. C’est ce que prône l’IME avec le “talent matching”
Faire émerger la divergence constructive pour éviter les angles morts et la pensée de groupe. L’intelligence collective d’une équipe repose sur la mobilisation du mode mental adaptatif de ses membres. Il faut toutefois savoir économiser son cerveau autant que faire se peut. Le mode adaptatif est surconsommateur d’énergie et il faut admettre que, même musclé, nous avons le droit de repasser en mode automatique de temps en temps. Il faut juste le conscientiser.
Conclusion : L’apport des neurosciences dans la chasse aux biais
Ce livre invite les organisations à prendre conscience des ressorts qui font obstacles au développement de l’inclusion et à s’outiller pour repenser leur culture et leurs processus grâce à l’apport des neurosciences cognitives.
Pour aller plus loin :
- Retrouvez le livre sur Amazon pour consulter ses critiques.
- Découvrez cette interview de l’auteur également.
Si vous êtes arrivés au bout de cet article et de ce résumé, c’est que, comme moi, le sujet vous passionne 🙂
N’hésitez pas à me laisser un commentaire et pourquoi pas, si vous ne l’avez pas encore fait, à répondre à ce quiz pour vous détendre : Quiz : Reconnaître les biais inconscients au travail 😉
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J’adore cette thématique. Merci pour cette revue précise. A très bientôt
Chère Sophie,
J’ai lu ton article avec un grand intérêt, particulièrement à travers le prisme de mon expérience en tant que professeure de collège. Ton exploration des biais cognitifs et de leur impact sur l’inclusion en entreprise est non seulement fascinante mais aussi très pertinente pour le contexte éducatif.
Les concepts neuroscientifiques que tu développes offrent des clés précieuses pour comprendre comment les biais peuvent influencer notre perception des élèves et comment, en tant qu’enseignant•e•s, nous pouvons travailler à les atténuer. Ton article m’a donné de nouvelles perspectives sur la manière dont ces mécanismes peuvent également se manifester dans la salle de classe et comment nous pouvons y répondre de manière proactive.
Je suis particulièrement touchée par tes suggestions concrètes pour intégrer ces notions dans des pratiques inclusives. Elles sont inspirantes et me poussent à réfléchir sur la façon dont je peux adapter mes méthodes pour mieux soutenir mes élèves, en tenant compte de la diversité et des biais inconscients.
Merci pour cet article enrichissant qui apporte des idées précieuses pour améliorer mon approche pédagogique. ☺️
Merci pour cet article très complet et riche. Cela permet finalement de s’intéresser à un livre qui pourrait paraître complexe avec vos synthèses par chapitre.
C’est fou de réaliser à quel point notre cerveau peut nous jouer des tours, souvent à notre insu. J’ai adoré la façon dont tu as décortiqué ces mécanismes avec des exemples concrets, ça m’a vraiment ouvert les yeux. On se rend compte qu’on est tous victimes de nos propres biais, mais grâce à toi, je vais essayer de les repérer plus souvent. Merci pour cet article édifiant.
Les biais cognitifs sont des sujets passionnants ! Ils nous épargnent du temps de réflexion, justifient nos choix, les provoquent, gèrent nos émotions… Bref, si l’on y prend garde on pourrait leur laisser le contrôle de nos vies ! En tout cas j’adore les étudier dans le marketing par exemple…
Je retiens particulièrement la phrase » C’est la capacité de l’entreprise et de ses managers à bien gérer les diversités qui compte plus que la présence de la diversité elle-même ! « . Ecueil que j’ai souvent relevé dans des entreprises où j’ai travaillé et ou les managers n’étaient pas assez accompagnés pour bien gérer la diversité.
Merci pour cet article qui permet d’apporter manière différente d’aborder sujet de l’inclusion dans les entreprises au travers des biais cognitifs.
Merci Lison de ce long commentaire car j’ai lu une première fois l’article pour découvrir ce livre et en prenant connaissance de ton commentaire, j’ai relu avec la casquette de prof cette fois et j’ai compris ce que tu dis. Je vais moi aussi en tirer des pratiques intéressantes. En tous cas, l’article a ouvert un espace de réflexion très intéressant.
Je te remercie pour cet article qui incite à réfléchir.
Effectivement, nous sommes pétris de biais, et sans en avoir conscience, cela joue contre nous et/ou contre les autres, comme tu le soulignes dans ton article.
C’est pourquoi je suis étonné que ces sujets ne soient pas pris plus au sérieux en entreprise (peut-être que c’est différent dans les grands groupes).
De plus, chaque système a ses propres biais et peut difficilement voir au-delà de ses œillères.
Par exemple, j’interviens prochainement dans une formation sur le management et la productivité destinée à des cadres d’une collectivité (tout le monde veut être plus productif avec des méthodes).
Cependant, cela commence par s’interroger sur le cadre global et à repenser nos environnements de travail et nos habitudes de vie (sommeil, alimentation). Aujourd’hui, on sait que la position assise prolongée est extrêmement mauvaise pour la santé.
Etre en mauvaise forme physique, c’est être de facto en mauvaise forme mentale (ou, à minima, beaucoup moins efficace).
Je suis peut-être disruptif dans mon approche, mais dans mon ancienne start-up, j’essayais de trouver les méthodes les plus efficaces tout en maximisant le bien-être (comme les réunions debout ou en marchant).
Aujourd’hui, j’ai adapté tous mes espaces de travail, et je ne supporte plus la position assise pendant plus de 20 minutes (j’ai réappris à renforcer mes muscles atrophiés).
Ce qui m’a beaucoup fait réfléchir sur la manière dont je pouvais agir, c’est le livre de Michael Easter : The Comfort Crisis.
Nous avons franchi un point de bascule où l’humanité n’a jamais été aussi faible et en mauvaise santé, depuis que nous avons domestiqué notre environnement, depuis l’époque des chasseurs-cueilleurs, et constamment amélioré notre confort quotidien. Ce qui était un avantage sélectif se retourne maintenant contre nous.
Je referme cette parenthèse, mais c’était pour signaler le parallèle avec le fait qu’à une situation donnée, la réponse n’est peut-être pas là où on la cherche habituellement.
Merci pour la réflexion en tout cas
Quelle richesse! C’est vraiment tres complet! Oui on ne peut pas forcer le changement par des lois, des regles mais il faut aussi defaire beaucoup de noeuds pour déjà accepter le changement puis voir ce qu’il y a modifier dans les structures inconscientes. Une vraie intelligence collective, le rêve !!
Je n’imaginais pas que notre cerveau pouvait développer autant de biais cognitifs. Merci pour cet article qui nous aide à comprendre comment ces biais sont les artefacts ultimes de notre cerveau, conçus pour servir ses objectifs de sécurité et de bien-être. En ce qui concerne la Qualité de Vie au Travail (QVT) et le management inclusif à l’heure de l’IA, c’est un chantier énorme. Le puissant levier de l’intelligence adaptative sera-t-il suffisant pour contrer tous ces biais ?
Merci Sophie pour ce nouvel bel article sur les biais cognitifs. Je l’ai trouvé fascinant. J’ai particulièrement apprécié comment tu explores le fonctionnement du cerveau et ses mécanismes pour préserver notre sécurité et notre bien-être, même au détriment de l’objectivité. Tes réflexions sur l’importance de prendre conscience de ces biais pour favoriser l’inclusion résonnent beaucoup avec mes valeurs d’harmonie et d’équilibre dans les relations humaines. Cela m’inspire à être encore plus vigilante dans mes interactions et mes décisions.
Encore merci pour ce partage éclairant et enrichissant ! 🌷