Nous sommes nombreuses (et nombreux) à avoir cette impression persistante de ne pas être à notre place. À douter de notre légitimité, même quand les signes extérieurs de réussite sont bien là. Cette tension intérieure, ce décalage entre ce que l’on fait et ce que l’on ressent, porte un nom : le syndrome de l’imposteur. Il est largement alimenté par de nombreux biais cognitifs et stéréotypes de genre qu’il faut comprendre pour pouvoir vaincre le syndrome de l’imposteur.
Bien sûr, c’est important d’en comprendre les racines, les manifestations et les conséquences et je vous le propose par ailleurs. Pour autant, il me semble crucial de bien comprendre les mécanismes mentaux qui le nourrissent.
Ce n’est pas une démarche purement intellectuelle. C’est, à mon sens, une clé essentielle pour reprendre de la clarté. Car le syndrome de l’imposteur n’est pas qu’un ressenti diffus. Il s’ancre dans des schémas de pensée automatiques — des biais cognitifs — et s’alimente de stéréotypes de genre profondément ancrés dans nos environnements professionnels et sociaux.
Qu’est-ce qu’un biais cognitif ? Et pourquoi est-ce important de les identifier pour vaincre le syndrome de l’imposteur ?
Les biais cognitifs sont des raccourcis mentaux que notre cerveau utilise pour gérer l’information. Ils nous aident à aller vite, à trier, à interpréter. Mais dans certaines situations, ces raccourcis nous induisent en erreur. Ils nous amènent à interpréter le réel de manière déformée, notamment quand il s’agit d’évaluer notre propre valeur.
Les biais cognitifs servent quotidiennement à résoudre quatre problèmes principaux : la surcharge d’information, le manque de sens, le besoin d’agir vite et comment savoir de quoi on doit se rappeler plus tard.
Dans le cas du syndrome de l’imposteur, ces biais cognitifs créent un filtre invisible mais puissant. Ils renforcent le doute, minimisent les réussites et exagèrent les échecs. Le problème, c’est qu’ils sont souvent inconscients. Et tant qu’on ne les rend pas visibles, ils continuent d’agir.
Les biais cognitifs qui renforcent le syndrome de l’imposteur
Je vous partage ici ceux que j’ai personnellement vécus et que je vois revenir souvent chez les femmes que je côtoie.
1. La pensée dichotomique
Aussi appelée « penser en tout ou rien », ce biais cognitif nous pousse à voir les choses en noir ou blanc : soit on est parfaite, soit on est nulle. Il n’y a pas d’entre-deux. Cette pensée est implacable : si une présentation n’est pas parfaite, elle est perçue comme un échec. Si un feedback est mitigé, il devient une remise en cause totale de sa légitimité.
Ce biais rend impossible la reconnaissance de ses progrès. Il empêche de voir la nuance, les efforts, les apprentissages. Il pousse au perfectionnisme.
2. La lecture dans les pensées
Il s’agit ici de prêter aux autres des intentions, des jugements, sans preuve. “Il doit penser que je n’ai pas le niveau”, “Elle croit que je suis là pour remplir un quota”… Ce biais est d’autant plus actif dans les environnements professionnels où le feedback est rare, implicite, ou soumis à des codes tacites.
J’ai vu des femmes brillantes douter profondément d’elles-mêmes simplement à cause d’un silence ou d’un regard interprété négativement. Et je me suis reconnue dans ce piège plus d’une fois. C’est un puissant ingrédient de leur paralysie.
3. La généralisation excessive
Un échec, une remarque désagréable, un moment de flottement… et tout est remis en cause. On passe de “je n’ai pas été à la hauteur cette fois” à “je ne suis pas compétente”. Ce biais efface les succès passés et installe un sentiment de non-légitimité chronique.
Il est particulièrement fort chez les profils exigeants et perfectionnistes, qui fixent la barre si haut qu’un seul accroc suffit à faire vaciller l’ensemble.
4. La disqualification des réalisations
Même quand tout s’est bien passé, on doute. On attribue son succès à la chance, au hasard, ou à l’indulgence des autres. “J’ai eu de bons résultats, mais c’est parce que l’examinateur était cool.” “On m’a promue parce que je suis une femme.” Ce biais d’auto-disqualification est un grand classique du syndrome de l’imposteur.
Il empêche d’intégrer ses réussites à son récit intérieur. On ne capitalise pas, on recommence à zéro à chaque étape. Il provoque à force le développement d’une forme de procrastination. Parfois même une procrastination hyper active. Vous en faites toujours plus puisque qu’aucune réalisation ne vous satisfait et d’ailleurs sans doute aucune ne sert vraiment ce qui pourrait vous permettre de vous épanouir.
5. La comparaison sociale
Elle est omniprésente, surtout à l’ère des réseaux sociaux. On se compare à des profils visibles, à des parcours “parfaits”, et on en sort avec le sentiment d’être “moins bon”, “moins bien”, “moins compétente”. Ce biais est d’autant plus pernicieux que l’on idéalise l’autre et minimise son propre chemin.
Ce désir de plaire est d’autant plus fort chez les femmes perfectionnistes, qui se fixent des objectifs inatteignables et s’auto-flagellent à la moindre imperfection.
C’est bien la combinaison de ces différents biais cognitifs qui provoque les symptômes qui permettent la définition du syndrome de l’imposteur. Dans son étude, Ditching Imposter Syndrome, Clare Josa, chercheuse et auteure, décrit comme suit les 4P du syndrome de l’imposteur : le perfectionnisme, la paralysie, le désir de plaire aux autres et la procrastination. Vous les avez ? 😉
C’est 4P font écho à cette combinaison de biais cognitifs. En comprenant ces biais cognitifs et en développant des stratégies pour les contrer, les femmes peuvent apprendre à mieux se percevoir et à surmonter les obstacles qui les empêchent de s’épanouir pleinement. Elles peuvent finalement vaincre le syndrome de l’imposteur. J’en dis plus dans mon article : “Syndrome de l’imposteur chez les femmes : en êtes-vous victime ?”.
Les stéréotypes de genre : un terreau fertile pour le doute
À ces biais cognitifs s’ajoute une autre couche : les stéréotypes de genre. Ils ne se manifestent pas toujours par des paroles explicites. Ils sont souvent intégrés très tôt, dans les discours, les attentes implicites, les représentations collectives.
Voici les trois grandes familles que j’ai identifiées dans mon propre parcours :
1. Les stéréotypes sur les (in)compétences des femmes
- “Les femmes ne sont pas faites pour les sciences.”
- “Elles sont trop sensibles pour diriger.”
- “Elles réussissent grâce à leur charme, pas à leurs compétences.”
Ces idées circulent encore. Parfois en creux, parfois en façade. Elles s’immiscent dans nos façons de nous présenter, de parler de nos réussites, de postuler à un poste.
Une professeur de mathématiques m’a un jour dit que j’avais “trop confiance en moi”. Elle s’est adressée à ma mère pour lui dire qu’elle avait “corriger ça”. Et elle y est parvenue. Il m’a fallu des années pour restaurer cette confiance. J’ai depuis dirigé des équipes informatiques, parfois 100% masculines, mais je sais à quel prix…
2. Les femmes “douces” et “émotives”
On attend des femmes qu’elles soient agréables, modestes, disponibles. Pas trop ambitieuses, trop affirmées, “dures”.
Cette injonction permanente pousse à adopter des stratégies de contorsion dans le monde de l’entreprise, d’autant plus quand on prend des responsabilités managériales. Il faut : moduler son discours, tempérer ses ambitions, lisser ses émotions… au risque de se perdre en route.
Et quand on s’affirme malgré tout, on devient “la Boss”, “la dure”, “celle qui a un truc à compenser”. Un piège sans issue.
3. L’hyper-responsabilité féminine
C’est le stéréotype que j’ai le plus ressenti dans mon quotidien. Il ne dit pas “tu es incapable”. Il dit “tu dois tout faire, tout tenir, sans te plaindre”. Être brillante sans déranger. Présente sans occuper trop d’espace. Ambitieuse sans paraître autoritaire. Et bien sûr, être la mère, la collègue, la confidente, la leader… tout à la fois.
J’ai souvent accepté des postes ultra-exigeants dans des contextes de crise. Flattée qu’on me fasse confiance. Mais sans voir qu’on me positionnait en “solution de secours”, pas en figure de légitimité. C’est ce que la sociologie appelle la “falaise de verre”.
Attention, je prends ici des exemples de stéréotypes féminins, puisque je les connais bien. Mais les stéréotypes masculins peuvent aussi provoquer des effets équivalents sur les petits garçons et les hommes, à tout âge. Le syndrome de l’imposteur n’a pas de genre bien que le terreau dans les stéréotypes féminins soit particulièrement fertile.
Comprendre, ce n’est pas s’excuser — c’est reprendre la main
Le syndrome de l’imposteur n’est pas une pathologie. C’est une lecture biaisée de soi, façonnée par des filtres mentaux et des représentations collectives. Le comprendre ne résout pas tout. Mais c’est un premier pas pour reprendre le contrôle de son propre récit.
Dans “Vaincre le syndrome de l’imposteur : 5 leviers concrets et un bonus puissant”, je vous partage les leviers que j’ai mis en place pour changer de perspective. Pas à pas. Sans forcer. Sans se trahir.
Il faut garder à l’esprit que ces biais cognitifs et ces stéréotypes qui alimentent le syndrome de l’imposteur sont le résultat de siècles de construction de nos sociétés. La biologie et les neurosciences ont longtemps été utilisées pour justifier les différences essentielles entre les sexes.
Elles remettent aujourd’hui en question des vérités qui semblaient acquises. Comme l’affirme la neurobiologiste Catherine Vidal dans son ouvrage “Homme, femmes : avons-nous le même cerveau ?” : « Oui, il y a des différences entre un cerveau masculin et un cerveau féminin… mais autant qu’entre le cerveau d’un individu et celui d’un autre, qui ne cessent de se façonner selon leur environnement et leurs expériences cognitives respectives. »
Pour aller plus loin
- Syndrome de l’imposteur : le comprendre pour le vaincre
- Test gratuit : Avez-vous le syndrome de l’imposteur ?
En savoir plus sur LES BIAIS DANS LE PLAT
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Merci pour cet article. Je me suis complètement reconnue dans ce que tu as écrit. Longtemps, j’ai cru que les autres, et en particulier les femmes, savaient mieux que moi. Je n’avais déjà pas beaucoup de confiance en moi avant de rencontrer mon mari, mais durant notre mariage, j’ai encore plus douté de mes compétences. Pourtant, intérieurement, je savais que j’étais forte et capable, mais il m’était impossible de comprendre ce qui me chagrinait en moi.
Mon mari critiquait souvent ma manière de travailler et mes recherches d’emploi parce qu’il avait une idée bien précise de comment il fallait faire. J’ai perdu toute estime de moi-même jusqu’à ce qu’une amie me conseille de consulter une thérapeute. Elle m’a aidée à retrouver la confiance en moi et à comprendre que j’étais manipulée. Après un long chemin vers la confiance, j’ai enfin découvert qui j’étais, ce que je voulais et ce que je ne voulais plus !
Derrière chaque mal se cache du bien.
Je n’ai pas d’exemple à partager même si je me reconnais beaucoup, j’ai trouvé cet article très intéressant ! Prendre conscience est le premier pas vers la modification de ces schémas ! Merci 🙂
Merci pour cet article. Dans mon domaine – l’art – le syndrome de l’imposteur touche tout les artistes, hommes et femmes, même si les hommes ont plus de difficultés à le reconnaître ! Il faut dire que la société encourage plus les femmes à révéler leurs émotions et leur vulnérabilité, bien souvent à leur détriment, d’ailleurs.
Merci pour cet article éclairant qui met en avant avec une grande finesse les biais cognitifs et les stéréotypes influençant notre perception de nous-mêmes, alimentant notre syndrome de l’imposteur. En tant que praticien en gestion mentale, j’apprécie énormément cette mise en lumière des mécanismes mentaux sous-jacents. Car elle favorise la prise de conscience.
En effet, la disqualification des réalisations que vous décrivez résonne profondément avec les principes de la gestion mentale, où l’introspection joue un rôle clé pour prendre conscience des schémas de pensée limitants et pour les modifier.
Cette approche permet de renforcer l’estime de soi en aidant les individus à reconnaître et à valoriser leurs propres compétences et efforts.
Ainsi, l’accompagnement en gestion mentale pourrait être une voie précieuse pour les personnes souffrant du syndrome de l’imposteur, en les aidant à attribuer leurs succès à leurs propres mérites plutôt qu’à des facteurs externes.
Encore merci pour ce partage enrichissant.
Merci pour cet article enrichissant sur les biais cognitifs et les stéréotypes. Manager depuis plus de 20 ans, j’ai entendu de nombreuses fois ces stéréotypes. Qu’on le veuille ou non, elles nous impactent.
Merci pour cet article passionnant sur le syndrome de l’imposteur et les biais cognitifs. Tes explications sont vraiment claires et pertinentes. Ça aide à mieux comprendre les mécanismes en jeu et à prendre du recul sur nos propres expériences. Tes conseils sont les bienvenus.
Merci pour ce super article bien complet ! Pour ma part, même si je n’ai pas vraiment souffert de stéréotype, évoluant en marketing dans des entreprises composées de 70% de femmes, c’était plus facile… Mais j’ai clairement ce poids lourd de « faut être parfaite pour réussir » et je peux facilement faire une généralisation excessive comme tu le dis, à la moindre erreur ! Pas facile, mais j’essaye de plus de plus de prendre du recul et à être moins dure avec moi…
Merci Sophie pour ton article.
Tes explications claires et détaillées m’ont aidé à mieux comprendre ces concepts complexes et leur impact sur notre perception de nous-mêmes. J’ai particulièrement apprécié les exemples concrets et les conseils pour surmonter ce sentiment d’imposture. C’est un sujet crucial pour beaucoup de gens et tu as su l’aborder avec justesse et bienveillance.
A bientôt et au plaisir d’échanger de nouveau ensemble. 🌷
Article extrêmement pertinent ! La manière dont vous abordez les stéréotypes de genre et leur impact sur le syndrome de l’imposteur est vraiment éclairante. Je découvre le blog. Je n’ai pas encore tout lu ….mais je vais le suivre car d’emblé « le savoir c’est le pouvoir », je répète cette phrase à longueur de journée aux personnes que j’accompagne. Vos sujets me parle et j’aime beaucoup la façon dont vous l’exprimez. Merci 🙂
bravo pour cet article passionnant ! Je l’observe également quotidiennement !