Tout pour déjouer l’effet et la pensée de groupe

Illustration Déjouer l'effet de groupe et la pensée de groupe

Introduction : Le collectif, cet allié parfois trompeur

« Penser contre son temps, c’est de l’héroïsme. Mais le dire, c’est de la folie. » – Eugène Ionesco

Dans un groupe, nous avons souvent l’impression que les décisions seront meilleures, plus rationnelles et équilibrées. Pourtant, certaines dynamiques collectives, comme l’effet de groupe et la pensée de groupe, peuvent biaiser nos choix. Ces mécanismes inhibent l’action ou favorisent une conformité irrationnelle. Savoir reconnaître et déjouer ces pièges est essentiel pour préserver notre lucidité. Cet article vous propose des outils concrets pour dépasser ces biais et reprendre le contrôle.


1. Effet de groupe : comprendre pourquoi la responsabilité se dilue en groupe

Cas d’école : Kitty Genovese et l’effet du témoin

En 1964, Kitty Genovese est agressée à New York. Plus de 30 témoins auraient assisté à la scène sans intervenir, un comportement qui choque l’opinion publique. Cet événement inspire les psychologues John Darley et Bibb Latané, qui mènent une série d’expériences marquantes en 1968. Ils démontrent que plus une situation critique est observée par un grand nombre de personnes, moins chaque individu se sent responsable. Ce phénomène, connu sous le nom d’effet du témoin, est une manifestation typique de l’effet de groupe.

Dans leurs expériences, les chercheurs observent que lorsqu’une urgence est simulée (par exemple, un individu qui s’écroule), une personne seule intervient rapidement. En revanche, lorsque plusieurs témoins sont présents, l’inaction prédomine. 

Statistiquement, c’est imparable, lorsqu’un individu est seul, il intervient dans 85 % des cas. Mais en présence de trois témoins ou plus, ce chiffre chute à 31 %.

Les mécanismes de l’effet de groupe

  1. Dilution de la responsabilité :
    La responsabilité d’agir semble partagée entre tous. En réalité, chacun pense que quelqu’un d’autre agira, ce qui aboutit à une paralysie collective.
  2. Désindividualisation :
    Dans une foule, les individus adoptent souvent des comportements conformes à ceux des autres, même lorsqu’ils vont à l’encontre de leurs propres valeurs ou instincts.

Exemples quotidiens des effets de groupe

  • Dans la vie publique : Lorsqu’une personne est témoin d’un acte d’intimidation dans un espace public, elle peut hésiter à intervenir, croyant que d’autres prendront les devants.
  • Au travail : Lors d’une réunion, un problème technique majeur est ignoré. Chacun pense que les autres, mieux qualifiés, vont le résoudre. Cette passivité peut entraîner des erreurs coûteuses.

>> Vous êtes-vous déjà retrouvé dans une situation où vous avez l’impression de ne pas avoir eu le courage de faire ce qui aurait été juste ou bien de faire  ? Que s’est-il passé ?

Exercices pratiques pour déjouer l’effet de groupe et agir efficacement

Illustration pratique pour déjouer l'effet de groupe

  1. Attribuez des responsabilités claires
    Pour briser l’inertie collective, attribuez des rôles précis : “Marie, appelle les secours”, “Ahmed, surveille les alentours.” Cette technique, enseignée dans les formations de premiers secours, est simple et efficace. Elle peut aussi s’appliquer en entreprise lors de réunions d’équipe ou projet. L’attribution de responsabilités rassure les participants. Elle leur donne la vision mais aussi le cadre de légitimité nécessaire pour agir. 
  2. Posez-vous la question : « Et si j’étais seul(e) ? »
    Imaginez que vous êtes le seul témoin de la situation. Cet exercice mental vous oblige à agir selon vos valeurs, sans vous reposer sur les autres.
  3. Simulez des situations d’urgence
    Participez à des ateliers collaboratifs ou des formations en gestion de crise. Ces exercices renforcent votre capacité à réagir efficacement dans des contextes où l’effet de groupe est présent. Dans certains métiers de l’entreprise, la gestion de crise est désormais encadrée et organisée. Encore une fois, dans la grande majorité des cas, elle rassure plus qu’elle n’inhibe les comportements des collaborateurs. 

2. Pensée de groupe : éviter la pression sociale et stimuler la pensée critique

« Dès que les bêtes sont en nombre, l’homme d’esprit n’est plus qu’un sot » – Antoine-Pierre Dutramblay, Apologues, V, XX1 (1810)

Cas d’école : L’expérience des lignes de Solomon Asch

En 1951, Solomon Asch montre à quel point la pression sociale peut influencer nos choix. Dans son expérience, des participants doivent comparer des lignes de longueurs différentes. La tâche est simple… mais lorsque des complices de l’expérimentateur donnent intentionnellement une réponse incorrecte, 75 % des sujets finissent par se conformer, même s’ils savent que cette réponse est fausse. Ce phénomène, caractéristique de la pensée de groupe, illustre comment la peur d’être isolé ou jugé peut altérer nos décisions.

Les symptômes de la pensée de groupe

  1. Illusion d’unanimité :
    Le silence est interprété comme un accord, même si certains membres du groupe ont des objections.
  2. Rationalisation collective :
    Les signaux d’alerte sont minimisés ou ignorés pour préserver la cohésion.

C’est le “Paradoxe d’Abilène” :
Par peur de se distinguer, les membres d’un groupe peuvent consentir à des décisions qu’ils désapprouvent personnellement, tout en croyant que les autres sont d’accord.

  1. Autocensure :
    Les individus hésitent à exprimer leurs désaccords, de peur de briser l’harmonie ou d’être marginalisés.
  2. Pression sur les dissidents :
    Ceux qui osent critiquer la décision collective sont souvent perçus comme des perturbateurs.

Exemples quotidiens des effets de la pensée de groupe

  • Dans un groupe d’amis : Une activité collective est organisée (un voyage, un restaurant), mais personne n’en est réellement satisfait. Par crainte de déranger, tous se taisent.
  • En entreprise : Une équipe persiste dans un projet défaillant, malgré des retours négatifs, parce que personne n’ose contredire une décision initiale.

>> Vous êtes-vous déjà retrouvé dans une situation où vous avez suivi une décision collective que vous désapprouviez  ? Que s’est-il passé  ?

Exercices pratiques pour déjouer la pensée de groupe et agir mieux 

Illustration pratique pour déjouer la pensée de groupe

  1. Nommer un « avocat du diable »
    Désignez une personne pour contester systématiquement les décisions du groupe. Ce rôle institutionnalisé favorise un débat critique et aide à détecter les failles dans les idées proposées.
  2. Encouragez les votes anonymes
    Lors des prises de décision, proposez un vote à bulletin secret. Cela permet à chacun d’exprimer son avis sans subir la pression sociale.
  3. Travaillez en sous-groupes
    Divisez le groupe principal en petites équipes qui réfléchissent indépendamment au même problème. Les conclusions divergentes permettent d’identifier des biais ou des angles morts.
  4. Prenez des pauses avant de conclure
    Laissez du temps entre les discussions et les décisions finales. Cela donne à chacun la possibilité de réfléchir individuellement et d’apporter des arguments supplémentaires.

3. Stratégies concrètes pour éviter ces biais au quotidien

3 stratégies pour contrer l’effet de groupe

  1. Responsabilisez vos équipes :
    Lors de projets collaboratifs, attribuez des rôles précis et définissez clairement les attentes. Cela réduit la dilution de la responsabilité et favorise l’action.
  2. Valorisez l’initiative individuelle :
    En milieu professionnel, encouragez les employés à proposer des solutions ou à prendre des initiatives, même si elles ne sont pas toujours parfaites.
  3. Favorisez les retours d’expérience :
    Intégrez des débriefings réguliers après des projets ou des situations critiques pour discuter de ce qui a fonctionné ou non. Ces retours permettent de prévenir l’inertie future.

3 stratégies pour contrer la pensée de groupe

« Les bonnes idées viennent du choc des opinions. » – Steve Jobs

Faites-en une règle d’or.

  1. Installez une culture de la critique constructive :
    Mettez en place des processus où les idées et les décisions sont systématiquement remises en question, sans crainte de jugement.
  2. Faites appel à des experts extérieurs :
    Sollicitez des points de vue externes pour évaluer des décisions importantes. Ces avis impartiaux peuvent mettre en lumière des biais que le groupe ne perçoit pas.
  3. Élaborez une checklist pour vos réunions :
    Avant toute prise de décision, posez ces questions :
    • « Avons-nous considéré les objections ? »
    • « Quels risques ignorons-nous ? »
    • « Que penserait une personne extérieure ? »

Exemple inspirant : Pixar et la diversité des idées

Chez Pixar, chaque idée est soumise à une critique collective rigoureuse avant d’être validée. Ce processus permet d’affiner les concepts tout en valorisant la diversité des perspectives. Les employés sont encouragés à remettre en question les propositions, même celles de leurs supérieurs.


Conclusion : Pourquoi est-il essentiel de déjouer ces biais ?

Ces biais ne se limitent pas aux salles de réunion ou aux urgences. Ils façonnent nos décisions au quotidien, dans nos relations personnelles, nos engagements citoyens et nos choix professionnels. En apprenant à déjouer l’effet de groupe et la pensée de groupe, nous devenons plus autonomes, plus réfléchis et mieux armés pour agir en accord avec nos valeurs.

Comme le disait Émile-Auguste Chartier, dit Alain : « Penser, c’est dire non. »

Déjouer ces biais demande du courage, mais les résultats en valent la peine : des décisions plus éclairées et une capacité accrue à rester fidèle à soi-même, même au sein d’un groupe.

Avez-vous déjà été témoin d’un effet de groupe ou d’une pensée de groupe  ? Partagez votre histoire dans les commentaires.

« Le plus grand des maux et le pire des crimes est la pauvreté de l’esprit. » – Albert Einstein

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6 commentaires sur « Tout pour déjouer l’effet et la pensée de groupe »

  1. Comme dans l’exemple Pixar, j’adore l’idée de sortir les participants d’un groupe des préjugés nécessaires à la définition de leur rôle dans le groupe. Par exemple, considérer l’expert du sujet A comme l’expert du sujet B et inversement. Considérer le participant avec 30 ans d’expérience comme un débutant et considérer l’avis du débutant comme si cette idée avait eu le temps de mûrir…

    Super article cette semaine ! Merci Sophie

  2. Merci Sophie pour ton article, il est vraiment éclairant ! Ton explication des mécanismes de l’effet de groupe et surtout comment tu donnes les clés concrètes pour en sortir est vraiment subtil.
    L’idée d’oser prendre du recul pour interroger ses propres pensées, même quand on est entourée de gens bienveillants résonne tellement en moi.
    Merci encore pour ce bel article qui pousse à réfléchir autrement et à garder notre authenticité intacte, même au cœur d’un groupe. 🌷

  3. Super intéressant !
    Merci pour tes articles toujours très qualitatifs.
    Et j’adore la citation en intro, c’est vraiment représentatif… Regardons seulement ce qui s’est passé avec le Covid 😉

  4. Merci, Sophie, pour cet article !
    On y retrouve des situations du quotidien où nos choix personnels peuvent être mis de côté sous l’effet de groupe ou l’influence d’une autre personne.

    Cela peut se produire, par exemple, lors d’une réunion où personne n’ose parler, entraînant un silence pesant, car tout le monde pense la même chose.
    Ou encore face à une situation d’agression dans la rue.

    Les astuces que tu partages sont très inspirantes, et certaines, auxquelles je n’avais pas pensé, me semblent particulièrement utiles. Je vais les mettre en pratique 🙂

  5. Bonjour, Sophie

    Comme d’habitude, j’ai adoré ton article ! Il est précis, efficace, et les exemples que tu donnes sont vraiment parlants. Ça permet de comprendre de manière très claire comment l’effet de groupe peut influencer nos décisions et notre pensée collective.

    De mon côté, j’ai toujours eu beaucoup de mal avec les réunions au travail. Je me contentais de rester silencieuse, mais une fois, j’ai osé prendre la parole pour dire que je ne voyais pas l’intérêt du travail à accomplir dans ce temps imparti, le trouvant soit pas assez concret, soit trop court pour être réellement efficace. On m’a alors répondu que je ne pensais pas « collectif », ce qui m’a beaucoup déstabilisée. Depuis, j’ai tendance à fuir ces situations. Avant, c’était surtout une fuite dans mes pensées, mais maintenant, je me retrouve à éviter certaines réunions ou alors à me concentrer sur d’autres tâches, comme corriger mes copies, quand je sens que le discours ne me convainc pas.

    Ton article m’a vraiment fait réfléchir sur ce phénomène. Merci encore pour ce partage !

  6. Les réflexions et conseils que tu partages m’ont fait réaliser à quel point il est important de rester vigilant face à ces biais. C’est fascinant de voir comment nos décisions peuvent être influencées à notre insu. Je vais certainement mettre en pratique tes conseils pour m’assurer d’avoir une pensée plus critique et indépendante.

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